Sydney, dimanche 10 avril 2011. Il pleut. Veille du départ de stage.
Ma mère m’a demandé avant de partir quand combien de temps je pensais que ma phase de lune de miel allait durer. Aujourd’hui, une semaine après mon départ de France, cette question m’interpelle. Pour ceux qui ne les connaissent pas, il y a plusieurs phases dans l’adaptation à un environnement et une culture différente :
wa- • il y a la « lune de miel » au départ, autrement dit le moment où l’excitation est à son paroxysme, où l’on arrive dans un nouvel endroit que l’on s’est imaginé depuis des mois, c’est excitant, il y a plein de choses à découvrir, etc… En gros, c’est l’excitation du départ.
- • Ensuite il y a la « chute », ou le moment où l’excitation laisse place à un certain mal-être. On se rend compte que beaucoup de choses diffèrent de sa propre culture, et souvent les différences se nichent dans les choses que l’on suspectait le moins (moins on suspecte la différence, plus le choc est grand). C’est le moment où l’on se rend compte que l’on n’a plus les mêmes repères qu’à la maison, qu’une tâche simple peut relever de la mission impossible (par exemple, ça fait 3 jours que je cherche des draps : j’en trouve juste pas. Pourtant les australiens doivent bien en acheter quelque part !) et que le moindre petit grain de sable dans des rouages en construction peut se révéler insurmontable et d’une chronophagie et ahurissante. C’est généralement à ce moment là qu’on à « le coup de blues », ou « le spleen », ou encore « la dépression » pour les cas les plus sérieux. C’est le fameux « choc culturel » Et c’est cette phase là qui est la plus sensible. C’est à travers la manière qu’on la gère et qu’on la négocie que l’on détermine la suite des événements, si oui ou non on va réussir à s’y faire à ce pays, si oui ou non on va réussir à s’y adapter et à s’y sentir bien.
- • La dernière phases, consiste en « l’acceptation » et « l’intégration » des différences culturelles. Grosso merdo (comme dirait ma soeur), c’est la phase « d’acculturation », ou tu apprends à intégrer tous les nouveaux facteurs et à te les approprier, pour les intégrer dans ton mode de vie. Cette phase est très longue, et je ne suis pas sûr qu’elle se termine un jour. En tout cas, 5 mois me seront difficilement suffisant pour me sentir autant à l’aise dans la culture australienne que dans la culture française (fortement improbable).
Alors moi, dans tout ce bordel, j’en suis où ? Et bien je ne sais pas trop. Je dirais bien dans la fin de la phase « lune de miel », mais des légers (je précise sur le « LEGERS» pour ma mère) coups de blues me laissent penser le contraire. Je crois que ma lune de miel n’a en fait duré que le temps de la sortie de l’aéroport (approximativement 7 minutes), où je n’en revenais toujours pas d’être en Australie, d’être dans l’hémisphère sud, et d’avoir la tête à l’envers.
Je crois que mes précédentes expériences interculturelles m’ont tellement marqué et tellement ouvert les yeux sur ce processus d’adaptation que j’ai redouté le choc culturel au point de ne pas avoir de lune de miel. Mais ne vous inquiétez pas, cela ne veut pas dire que je ne profite pas de mon temps ici. J’ai visité Bondi Beach (qu’on prononce ‘bondaille’ et pas ‘bondi’ par ailleurs), j’ai senti mon cœur s’emballer quelque peu quand j’ai vu pour la première fois l’opéra de Sydney (je n’aurais jamais cru que je le verrais un jour tellement ça me paraissait loin), je suis toujours autant impressionné par le centre et ces gratte-ciels, et puis les gens sont vraiment très gentils, souriants, polis, et accueillant (ça, ça change !).
Le fait est que, je redoute tellement le choc culturel, que je le guète en quelque sorte à tous les coins de rues. Mais il n’est pas arrivé. Et il n’arrivera peut-être/probablement jamais. Il faut être réaliste, Sydney, c’est pas le Népal, c’est une culture occidentalisé, où les gens parlent un anglais (la plupart du temps) compréhensible. Ça va, c’est gérable.
Mais même s’il n’y a pas vraiment de choc culturel pour le moment, et que je ne suis pas en phase de « mal-être » à proprement dit, il y a tout de même des éléments déstabilisants. Mais ça, je crois, c’est inévitable : je n’ai plus de repères. Mais il m’appartient à moi-même de créer mes nouveaux repères, de créer des habitudes, un style et un rythme de vie qui me permette de me sentir bien. En plus, j’ai toujours l’impression d’être un peu largué et de devoir demander de l’aide pour des choses tellement basiques que j’ai peur que les gens me prennent pour quelqu’un de mentalement limité. Il a fallu que je demande de l’aide pour retirer de l’argent à un distributeur automatique (c’est tout con pourtant, mais en Australie, ça marche pas pareil), j’ai du poser 300 questions avant de comprendre comment mon nouveau téléphone marchait et pourquoi la vendeuse ne pouvait pas me donner elle-même mon nouveau numéro (c’est mon téléphone lui même qui me le donne une heure plus tard), j’ai pas tout de suite pigé que un ‘unit’, c’est un appartement, et pas une résidence ou un bâtiment (à l’arrivé en famille d’accueil, on a passé 20 minutes à chercher un bâtiment avec un 5 dessus, alors qu’il fallait chercher un boite aux lettres avec un 5 dessus. Le passant à qui on a demandé de l’aide (pour rien) n’a même pas compris ce qu’on n’arrivait pas à comprendre tellement c’était basique).
Ce qui est déstabilisant aussi, c’est de ne plus avoir de routine. La routine, ou le train-train quotidien, c’est vu comme quelque chose à connotation négative, d’ennuyeux, qu’il faut à tout prix rompre, mais je pense qu’il y a un minimum de routine qu’il faut avoir si on veut avoir une quotidien émotionnellement équilibré. Je ne dis pas qu’il faut que je trouve un moyen de (re ?)trouver un vie pantouflarde, mais je pense que la routine c’est ce qui permet de tenir le coup lors d’un changement de style/rythme/mode de vie. Et ça, pour l’instant, c’est difficile. Je suis dans une chambre en famille d’accueil, je n’ai accès qu’à la chambre, donc je ne peux pas me faire à manger, je suis restreint dans mes activités du quotidien. C’est pour ça que j’ai hâte d’emménager dans mon appartement demain : j’aurai mon étagère de frigo, donc je pourrais faire mes courses, j’aurai mes propres clés, en gros, j’aurai un chez moi ! Et c’est ça qui manque, un point fixe, un repère, un chez soi (un soi qui, en l’occurrence, équivaut à un « moi » + 7 « eux », mais tout de même, cet endroit m’appartiendra un peu). Avoir une routine, c’est avoir une certaine quantité de choses dans sa journée qui n’est pas de l’ordre de l’inconnu, de la surprise. Et c’est bien, dans le sens que c’est fatiguant au bout d’un moment de ne jamais savoir à quoi s’attendre, surtout quand (et parce que) les repères habituels, sur lesquels on se repose d’habitude, ne sont plus là.
Mais sinon, sur une note globale, tout va bien, mais je sens que le plus gros reste à faire niveau adaptation. Et pendant que je pensais à tout ça cet après-midi, alors que je regardais la ville s’agiter depuis le quai de l’opéra, une phrase m’est venue à l’esprit. Une phrase qui témoigne de l’état de l’esprit dans lequel je suis. Etrangement, cette phrase est en anglais, et j’ai l’impression qu’elle est plus percutante que n’importe quelle traduction française :
« It is up to me to make this city mine »
Que l’on pourrait traduire par :
« c’est à moi qu’il appartient de faire de cette ville ma ville »